Il y eut une fois, il y a fort longtemps, dans un
pays qui s’appelait La Francassie, une terrible
tempête océane.
Des forêts entières furent abattues, mais surtout,
le peuple de l’Ouest vécut de très
longues journées sans électricité, les
pylônes et les lignes ayant été abattus.
Le sultan IFO manda son Grand Argentier et lui
tint à peu près ce langage :
— Monsieur le Grand Argentier, je désire que
l’ensemble des câbles électriques de la
Francassie soit enterré, afin que si survient de nouveau un
jour une si terrible tempête, le bon peuple n’en
souffre plus et que les techniciens de
l’électricité puissent passer les
fêtes de fin d’année tranquillement au
coin du feu, avec leur famille, au lieu de grimper sur des
pylônes dans le froid et la pluie. Ceci également
rendra plus accueillants les paysages de notre merveilleux pays pour
les millions d’étrangers qui le visitent chaque
année au grand bénéfice de notre
balance des paiements.
Le Grand Argentier obtempéra, appela le
directeur général de la Distribution
d’Électricité en Francassie (D.E.F.) et
lui transmit les souhaits du Sultan.
— Impossible, lui répondit celui-ci, cela
coûterait 100 Milliards de francass TTC (soit 83 M de
francass HT), nous n’en avons pas les moyens.
Le grand Argentier rapporta cette conversation au
sultan IFO qui réfléchit quelques jours et
ordonna que :
La D.E.F. soit maître
d’œuvre de l’enfouissement des lignes
électriques en Francassie.
Qu’elle
prendrait les sous-traitants qu’elle souhaitait
Que les travaux seraient
payés au fur et à mesure des avancements par
l’État qui les financerait, ainsi elle
n’aurait nul besoin de crédit bancaire, mais aux
conditions suivantes :
Qu’il n’y ait aucune importation, de
matières ou de produits finis. Tout devait être
extrait et transformé en Francassie.
Que les entreprises
sous-traitantes ne fassent, sur ce chantier, aucun
bénéfice. C’est-à-dire que
le flux d’argent entrant devait être
intégralement distribué, soit en salaires, soit
en paiement de fournisseurs amont, soit en Taxe Vraiment Admirable1 qui
était un impôt sur l’ajout de la valeur
que réalisait chaque créateur de biens ou de
service, soit en charges en retour à
l’État. Il n’y aurait donc aucun
impôt sur ces sociétés
puisqu’elles ne faisaient pas de
bénéfices.
Que seuls
des salaires seraient payés, du balayeur au directeur, de
telle manière que chacun ait la juste
rémunération de son labeur et que chacun
s’engage à dépenser ces salaires dans
le commerce, au fur et à mesure, et à ne pas les
immobiliser dans d’éventuels placements financiers
que proposaient encore les banques de l’époque.
Les actionnaires, n’ayant aucun labeur réel dans
cette opération (ils se contentaient de toucher des jetons
de présence aux Assemblées
générales), n’auraient aucun dividende.
Les amortissements
seraient intégrés dans les coûts,
à charge pour les entreprises d’effectuer les
investissements de remplacement dans le cadre défini
ci-dessus.
La D.E.F. chercha quelque temps les entreprises
qui acceptaient ces conditions, et finalement en trouva deux, en
décidant de se charger elle-même de faire les
nœuds aux extrémités des
câbles, travail difficile et dangereux s’il en
était.
La
société DUFIL qui fabriquait les câbles,
La
Société LETROU qui se chargeait de
réaliser les tranchées et de poser les
câbles au fond de ses trous.
Et
l’on se mit au travail.
Je vous passe les difficultés que rencontrèrent
les entreprises pour éviter toute fuite de francass
à l’exportation, par exemple
lorsqu’elles avaient besoin d’acheter une
pelleteuse mécanique, du ciment, ou des ordinateurs, avec la
certitude que tous les composants étaient
fabriqués en Francassie et que les matières
premières qui servaient à les fabriquer ou
à les faire fonctionner venaient également de
Francassie. Mais il est inutile de rentrer dans ce genre de
détail.
Au bout du compte, tous les câbles
furent enterrés en une année et la Francassie
retrouva ses paysages naturels.
Le grand Argentier mit plusieurs mois à
comprendre comment l’enfouissement des câbles
n’avait rien coûté à
l’État francassien et avait permis une
augmentation substantielle de l’activité et par
conséquence une diminution importante du chômage
qui, à l’époque, frappait durement la
Francassie.
Il est vrai que, depuis sa sortie de l’ENA2, il avait
toujours été ministre du Sultan, et chacun sait
bien que les ministres sont très peu au courant des
véritables réalités
économiques...
Mais il y avait, fort heureusement, quelques conseillers qui eux ne
venaient pas de l’ENA, dans son ministère. Ils lui
donnèrent quelques cours du soir et lui
expliquèrent, pas à pas, ce qui
s’était passé.
Le Grand Argentier finit par comprendre
que toute production de biens réels ne coûte que
du travail et des marges imbriqués, les matières
premières étant fournies gratuitement par la
nature (celle-ci n’ayant pas de compte en banque) et donc que
seul coûte, en salaires, le travail pour les extraire ou les
transformer.
Que l’argent ne se consomme pas et qu’il circule de
mains en mains ! Que les chaînes en cascade
représentent des cycles !
Que tant que de la capacité de travail est disponible,
l’injection de francass dans l’économie
ne
coûtait rien à l’État, sous
réserve
bien sûr qu’il ne doive pas payer de quelconques
intérêts sur cette monnaie, fiduciaire ou
scripturale,
car, en définitive, tout argent donné par
l’État revient à
l’État.
Les agents de la D.E.F. passèrent,
jusqu’à leur
dernier jour, les fêtes de fin d’année
avec leurs
familles, malgré les autres tempêtes
océanes dues
au dérèglement général du
climat sur la
Planète, jusqu’à ce que celle-ci
reprenne son
équilibre au fur et à mesure de la diminution de
la
pollution et de l’excès
d’activité des hommes.
Mais ceci est une autre histoire.